Toutes les civilisations entretiennent un rapport étroit avec l’astre de la nuit.
Toutes les civilisations entretiennent un rapport étroit avec l’astre de la nuit. Dès l’Antiquité et ce dans toutes les cultures, nous pouvons découvrir des récits liés à la Lune. Sans doute parce que c’est le seul corps céleste à être visible à l’oeil nu, il a fait l’objet d’observations et donc de fantasmes depuis la nuit des temps. « Le jour s’identifie au Soleil, la nuit est personnifiée par la Lune avec la projection psychique qu’elle implique : celles des rêves. »1
C’est « un astre aux multiples visages »2 . À la fois masculine et féminine, les représentations de la Lune s’appuient simultanément sur son caractère changeant et la régularité de ses cycles. Pour ces raisons, elle est associée au temps (calendrier, climat, cycle de la vie,…).
Chez les Grecs, la Lune est trois. Séléné tout d’abord évoque le rayonnement de la pleine lune ; Hécate quand à elle est la face sombre, la lune descendante ; enfin Artémis représente la lune croissante. Artemis est la sœur jumelle d’Apollon (le dieu du Soleil qui va donner son nom à la mission américaine de conquête vers la Lune), déesse vierge, elle est à la fois la déesse de la chasse, de la fertilité et de la fécondité représentée avec un arc et un croissant de Lune sur la tête. Ces trois déesses évoquent la naissance, la maturité et la mort. Il n’est pas difficile de comprendre que la simple observation des principales phases la lune (la lune gibbeuse ascendante ; la pleine lune ; la lune gibbeuse descendante) a amené les antiques à la penser et la représenter de telles manières dans leurs mythes.
Chez les égyptiens, le destin dramatique d’Osiris l’amène vers les mêmes analogies (vie, mort et résurrection) que le cycle de la Lune. Seth, son frère cadet, jaloux de lui, le tua et découpa son corps en quatorze morceaux (cela figure les quatorze phases qui suivent la pleine lune avant qu’elle ne disparaisse totalement) qu’il dispersa à travers tout le pays. Isis, femme éplorée d’Osiris, se met alors en quête des restes éparpillés de son amant. Elle les retrouve et les rassemble. « Désormais reconstitué, le corps d’Osiris reprend vie. La Lune est ‘‘le premier mort qui ressuscite’’ et Osiris en est la personnification. »3
En Mésopotamie, chez les Babyloniens et les Assyriens, elle se nomme Sîn. Dieu de la Lune, il était considéré comme le père de tous les autres dieux, même du Soleil. Couronné par le croissant lunaire et portant une barbe de lapis-lazuli, il sillonne le ciel dans sa barque céleste. « Le cycle immuable et régulier de la Lune constitue un affichage naturel du temps qui s’écoule, facile à lire dans le ciel. C’est grâce à elle que les Sumériens ont établi leurs premiers calendriers. »4 La Lune est également l’un des personnages primordiaux de la culture Aztèque dont nous reconnaissons encore aujourd’hui la précision du calendrier. On érige dans l’antique cité de Teotihuacán deux grandes pyramides : celle du Soleil et celle de la Lune qui furent les témoins de sacrifices humains spectaculaires garantissant la stabilité de l’Univers.
Dans ce panthéon non exhaustif des dieux et déesses antiques liés à la Lune, l’Afrique et l’Asie ne sont pas en reste. Selon certains récits africains, elle est liée à la fécondité et à l’abondance. En Inde, Chandra est « ce beau jeune homme qui traverse le ciel nocturne sur son char. »5 Ici encore, ce dieu de la nuit est caractérisé par les trois phases de la vie, naissance, épanouissement et déclin car chaque étape évoque une métamorphose nécessaire à toute progression spirituelle, finalité des croyances hindoues.
On voit bien l’importance que revêt la Lune dans les récits fondateurs de toutes les sociétés humaines. Ces récits se transformeront au fil du temps et des croyances, mais l’astre de la nuit ne sera jamais oublié. Les catholiques, par exemple, la reprendront à leur compte pour en faire une personnification de l’Église victorieuse. Aussi, les écrivains en feront l’un des sujets récurrents de leurs fictions.Pendant très longtemps d’ailleurs,la différence entre récit scientifique et récit de fiction se fera mince en ce qui concerne notre sujet. Dans Le songe ou l’astronomie lunaire publié en 1634, Johannes Kepler se sert de la fable pour décrire ce qu’il avait précisément observé avec son télescope. Dans ce livre, Duracotus, un jeune homme, est propulsé sur la Lune par des démons. De là-haut, il peut constater que la Terre tourne sur elle-même. Le livre est accompagné de deux cent vingt-trois notes de bas de page issues des observations au télescope de Kepler qui valident les descriptions lunaires du récit.L’auteur utilise donc les techniques de la fiction pour diffuser des contenus scientifiques. Toutefois, c’est un technicien et non un poète qui s’est posé sur la Lune malgré cela « il n’en était pas moins le représentant d’une humanité lettrée »6
La littérature foisonne de chroniques sélénites. Depuis que les hommes écrivent, ils regardent vers la Lune qui est l’endroit idéal où projeter nos rêves et nos fantasmes. Dans l’une de ses Histoires vraies (vers 180 après J.C.), Lucien de Samosate est sans doute le premier à imaginer un voyage vers notre satellite. Un bateau est emporté par une tempête et se retrouve sur des rivages lunaires. L’astre est habité par des créatures à la fois absurdes et étranges. Cyrano de Bergerac, Jules Verne, H. G. Wells, pour ne citer que les plus connus, ont tous envisagé une présence extra-terrestre. À cause de notre anthropocentrisme, nous avons longtemps pensé que la Lune était habitée puis avec la science moderne, nous avons compris que la vie telle qu’elle existe sur Terre n’y était pas possible, alors « on devait glisser vers la conception moderne, née voici trois ou quatre siècles à peine dans l’esprit de quelques uns : la Lune est un monde vierge à conquérir. »7
Avec le temps, la Lune est devenu un symbole de la conquête et du voyage. Elle est le tremplin duquel on s’élance. C’est le premier des dix cieux du paradis selon Dante 8 . « L’épopée lunaire est ainsi inscrite dans un long cheminement historique et spirituel qui guide l’Homme vers l’exploration des ses origines mystérieuses en partant conquérir l’espace. »9
Les astronautes sont des explorateurs qui comme Christophe Colomb se guident dans l’espace à l’aide d’un sextant. Aller toujours plus loin semble être une des forces qui régit l’humanité. Cette idée de voyage est d’autant plus paradoxale, que dans l’espace, les repères que nous appliquons sur Terre pour nous diriger (les points cardinaux, le haut, le bas, les distances, la vitesse,…) disparaissent ou changent complètement d’échelle. L’expérience de l’astronaute dans l’espace semble être une expérience totale. Le corps est complètement englouti dans le vide, l’espace qui l’entoure est à la fois dense et infini. La dimension haptique,plus que simplement optique,rapproche la sortie extravéhiculaire de certaines œuvres contemporaines.
Cette expérience immersive dans laquelle il n’y a plus ni jour, ni nuit, ni haut, ni bas, est une expérience limite du corps dans son appréhension de l’espace. Les expositions dites immersives prennent la forme d’environnements dans lesquels, la plupart du temps, on peut découvrir des projections lumineuses et des pièces sonores. L’expérience immersive la plus répandue est sans doute celle de la salle de cinéma. En voyant le film de Kubrick, déjà cité ici, 2001, L’Odyssée de l’espace, on prend véritablement la mesure de l’expérience que l’on est en train de vivre, notamment grâce à l’usage de la musique et du noir « car 2001 est une expérience sensorielle avant d’être un chef-d’oeuvre qui a suscité tant de commentaires et d’analyses. »10 Nous nous détachons du réel pour entrer dans un espace à part, séparé du dehors car tous nos sens sont saisis en même temps. Pas d’échappatoire, pas de fenêtre qui nous permettrait de nous évader même par l’esprit. « Les arts immersifs apparaissent comme des dispositifs expérientiels où le positionnement du spectateur dans le dispositif est central, permettant une activation du vivant dans le corps de l’individu qui devient ‘‘immersant’’ en produisant une nouvelle écologisation de lui-même dans le monde. »11 Nous sommes un nouveau moi. Pierre-Emmanuel Le Goff et Jürgen Hansen ne s’y sont pas trompés lorsqu’ils ont décidé de créer un film en VR Dans la Peau de Thomas Pesquet (2018, film en VR, 15mn). En mettant le casque devant nos yeux, nous ne sommes plus nous-mêmes dans le monde, nous sommes Thomas Pesquet dans l’espace. Ce dispositif nous donne à vivre ce qui est normalement réservé à une très petite élite. C’est pourquoi, ce film ainsi que des œuvres immersives présentées dans un dôme géodésique 360° seront présentés par Seconde Nature et Zinc dans le cadre de Space Camp. L’espace comme si on y était. Cette nouvelle architecture temporaire installée au cœur du forum des arts d’Aix-en-Provence, abritera des contenus immersifs hémisphériques.
Premier artiste présenté, Joanie Lemercier avec deux films: Nimbes (2014) et Nebulae (2019) deux compositions pour dôme. En tant que spectateurs, nous ne sommes pas placés devant l’oeuvre mais dedans. Plongé dans le noir, un univers se crée, des structures émergent et définissent peu à peu ses contours. «Comme par désir de participer à ce processus, nous créons alors des architectures et des histoires, mimant le cosmos dans lequel toutes nos actions trouvent une expression symbolique sur une échelle macrocosmique. Mais se faisant, des questions émergent : qui a fourni les bases de nos architectures, les fondements de nos histoires ? Ce que l’on voit est alors la seule certitude. Nos yeux comme seule interface à travers laquelle est perçu l’univers.» Avec Nebulae, faites l’expérience d’un voyage unique au travers du cosmos et du temps : au départ d’un paysage terrestre familier vers les étoiles et au delà. Explorant galaxies et constellations, soyez témoin de plusieurs événements cosmiques lointains. Nebulae est une installation audiovisuelle qui propose une libre interprétation artistique de la naissance de notre univers.
Deuxième œuvre visible dans le dôme, Lamparium de la Compagnie IKB menée par l’artiste pluri-disciplinaire Séverine Fontaine. Dans une œuvre précédente, Séverine Fontaine a réalisé une performance intitulée Regards dans laquelle elle évoluait parmi des lampes. De ces lampes personnages anthropomorphes, à la manière du personnage de Pixar, elle a décidé de faire un spectacle immersif, une rencontre dans un monde de lampe et de lumière. La lumière se matérialise et devient le personnage principal d’une histoire en trois tableaux dans un univers réel et imaginaire. Ces objets biomorphiques deviennent le miroir de l’humain et nous permettent de faire l’expérience de la lumière. L’écriture de cette œuvre est très théâtralisée, elle se découpe en actes, en scènes, en
séquences qui deviennent cinématographiques. Dans le premier tableau, nous voyons des lampes évoluer dans un espace noir, vide, et interagir entre elles. Puis, dans le second acte, le spectateur semble comme propulsé à l’intérieur d’une de ces lampes et devenir le personnage principal d’une histoire. Nous évoluons dans des lieux communs : ville, rue, lieu de travail, jardin… reconstitués numériquement. L’image oscille entre aplat et perspective rendant l’espace difficile à cerner.Enfin,dernière étape,nous voyageons et sommes pris dans une fiction plus émotionnelle. « Par leur présence en situation et en actions quotidiennes, leur évolution dans des environnements communs et universels, les lampes animées prennent vie et deviennent un reflet des spectateurs le temps de représentation de l’œuvre. »12
On le voit bien, l’Art n’est pas en reste dans notre découverte des espaces extra-terrestre. Plus encore, il est sans doute à l’origine de notre désir d’aller voir toujours plus loin ce qui s’y passe. Si parfois, ces images artistiques peuvent sembler vaines à l’ère de la conquête de Mars et après plusieurs décennies d’imagerie scientifique, elles symbolisent encore notre droit le plus fondamental : celui de rêver. « Fariboles sans intérêt ? Je ne le pense absolument pas et je ne trouve pas, personnellement, que l’on ait imaginé beaucoup mieux et surtout plus poétique que ces images touchantes. Elles sont nées dans l’esprit d’hommes qui vivaient il y a si longtemps et qui se posaient exactement les mêmes questions que nous autres sur la mort, la survie et notre condition cosmique. »13
1 – Charles-Noël Martin, « Pourquoi la Lune ? D’abord parce que c’est un rêve bi-millénaire… », Science et Vie Hors série-L’homme sur la Lune, no 287 (juillet 2019)
2 – Débora Bertol et Joséphine Bindé, « Un astre aux multiples visages », BeauxArts La Lune du voyage réel aux voyages imaginaire (s. d.).
3 – Bernard Melguen, « Des globes et des dieux », Télérama Hors Série La Lune prend ses quartiers au Grand Palais (s. d.)
4 – Bernard Melguen
5 – Débora Bertol et Joséphine Bindé, « Un astre aux multiples visages »
6;7 – Charles-Noël Martin, « Pourquoi la Lune ? D’abord parce que c’est un rêve bi-millénaire… »
8;9 – Dante et Frédéric Leblay, La divine comédie. Extraits Extraits (Paris: Larousse, 2001).p 130 « ‘‘ Élève ton esprit reconnaissant vers Dieu. Nous voici dans le corps de la Lune.’’ Il me semblait qu’un nuage nous enveloppait, brillant, épais, solide et poli comme un diamant frappé par le soleil. La perle éternelle nous avait reçus en elle comme l’eau reçoit un rayon de lumière. »
10 – Michel Ciment et al., L’Odyssée de « 2001 »: 50 ans d’un mythe, 2018., p 126
11 – Marc Veyrat (sous la direction de), 100 notions pour l’art numérique, Collection 100 notions (Paris: les éditions de l’Immatériel centre Möebius international, 2015), p41
12 – « Lamparium – Cie IKB », Cie IKB, Séverine Fontaine (blog), consulté le 26 juillet 2019
13 – Charles-Noël Martin, « Pourquoi la Lune ? D’abord parce que c’est un rêve bi-millénaire… »