Orogenesis est une vidéo en noir et blanc de 7 min 52 qui représente, selon les propres mots de l’artiste : « Un voyage vers l’abstraction, comme une hypothèse sur la façon dont les montagnes auraient pu se former. » (source : https://www.borislabbe.com/OROGENESIS)
Le début de la vidéo se construit sur une alternance de fonds noirs, tels des cartons sans textes, et d’images des Pyrénées prises par satellite. La bande son alterne également, sur les images noires, on entend le Chœur des chanteurs montagnards de Lourdes ; alors que sur les photos, on entend des bruits plus abstraits, difficilement reconnaissables entre le cliquetis d’objets métalliques, le bruit du vent ou des crissements de pneus. Les Chœurs donnent immédiatement une sensation mystique, et les images prises du ciel évoquent une transcendante toute religieuse.
Les images, fixes au départ, s’animent comme si la montagne devenait vivante, vibrante. On assiste aux mouvements de respiration du minéral. Peu à peu, les mouvements deviennent des vagues, c’est comme si la terre se liquéfiait ou devenait du tissu. Un drapé qui s’anime, mu par une force invisible. Nous ne savons plus ce que nous regardons. La montagne ? La mer ? Toute trace d’humanité a disparu. Sur les premières images, la présence de l’homme est ténue, une maison, un chemin. Ces indices d’une présence humaine disparaissent pour laisser place à des images purement abstraites, à mi-chemin entre des motifs géométriques d’un tissu ou le reflux de l’eau. La présence de la mer est accentuée par la bande son, on a l’impression d’entendre du sable qui coule dans un sablier, dans des maracas que l’on remue ou dans une ardoise magique que l’on secoue pour faire disparaître l’image que l’on avait créée. Nous ne pouvons nous empêcher d’entendre là le Memento homo : « Souviens-toi, homme, que tu es poussière et que tu redeviendras poussière » (Gn 3,19)
Tout nous dépasse ici. L’échelle est celle des montagnes, celle de Dieu. La temporalité n’est plus celle des hommes, mais celle de la terre qui a construit les montagnes sur des milliers d’années. Le titre de l’œuvre, Orogenesis, renvoie à cela. Du big bang à la tectonique des plaques qui ont formé la croûte terrestre, Boris Labbé semble se moquer. Il détruit ce que le temps a construit. On ne voit plus rien. Différentes valeurs de gris nous permettent à peine de distinguer quelques formes parmi le magma des images. Tout disparaît comme si c’était aspiré dans un trou noir. D’ailleurs, les écrans noirs réapparaissent. Puis les images de la montagne reviennent. Après avoir tout détruit, tout se reconstruit, comme indifférent à la présence de l’artiste, à la présence de l’homme. Comme souvent dans le travail de Boris Labbé, le film se termine comme il a commencé, laissant le spectateur dans l’expectative. Qu’y a-t-il à comprendre à cela ? Nous perdons le sens de ces images en même temps que les images qui disparaissent. Ces images scientifiques, prises par un œil dénué de tout affect, le satellite, deviennent poétiques et nous ramènent à la naissance du monde. Plus encore, n’est-ce pas la naissance de toute image qui nous est montrée ? Le passage du réel vers le magma de l’esprit de l’artiste ?