“Faites rhizome et pas racine (…). Ne soyez pas un ni multiple, soyez des multiplicités.¹” Célèbre concept du philosophe Gilles Deleuze et du psychanalyste Félix Gattari, le Rhizome, dont l’œuvre de Boris Labbé porte le titre, est une structure qui évolue en permanence dans toutes les directions horizontales, sans hiérarchie, sans limites bien déterminées. Dans une structure en rhizome, tout élément peut en affecter un autre et se développe de manière aléatoire. Ce principe, qui anime toutes les œuvres de Boris Labbé, est d’autant plus visible ici et nous rappelle que, de l’infiniment grand à l’infiniment petit, toutes les choses de l’Univers sont connectées entre elles.
Dès le générique, les lettres du mot “rhizome” se mélangent et le reconfigurent en une infinité de possibilités. La musique accompagne ce mouvement, le tintement de clochettes semble être à l’origine de cette “danse” des lettres. L’écriture devient alors un phénomène hasardeux. Au commencement de la vidéo, un point laiteux s’ouvre sur un fond noir, comme l’iris d’une caméra qui préparerait l’image à venir. Nous avons l’impression que nous nous approchons lentement du sol, comme si nous étions aspirés par l’image. Nous entrons dans un trou, une fente, dont jaillissent des boules blanches et grises. Petits atomes, unités organiques primaires, qui se transforment peu à peu en formes quasi végétales, puis animales, de petits êtres qui évoquent les créatures qui peuplent les tableaux de Jérôme Bosch. Enfin, ce sont des architectures qui font leur apparition, d’abord simples, petites maisons ou tours, puis plus complexes et plus imposantes, églises, cathédrales, pyramides, labyrinthes. Voyons-nous là l’illustration en accélérée de la théorie de l’évolution ? de l’atome à l’homme moderne ? Peut-être.
La vidéo avançant, nous reprenons de la hauteur, le monde créé de toute pièce par l’artiste semble de plus en plus petit et de plus en plus envahissant. Le grouillement, le fourmillement est accentué par la musique électronique dont les nappes sont recouvertes de claquements, de cliquetis et de tintements, de bruits d’aspiration ou d’expiration, qui paraissent accompagner l’action. Cet environnement sonore qui paraît intradiégétique suit les lents mouvements de caméra, désormais latéraux. Un lent traveling, de la gauche vers la droite, nous amène vers un point de rencontre où les petites créatures et leurs architectures sont comme aspirées pour devenir un tourbillon, un cyclone se forme et les aspire. La couleur fait son apparition. Une tornade s’élève dans les airs et nous voyons tournoyer des formes colorées qui évoquent autant d’oiseaux de paradis. La caméra suit ce mouvement d’élévation, tout devient minuscule, indiscernable. Nous ne distinguons plus qu’un geyser coloré au milieu d’un fond vaporeux. Le film se termine dans le mouvement inverse par lequel il a commencé, nous rappelant que le rhizome n’a pas d’origine, ni début ni fin. Tout se voit par le milieu car tout se construit grâce à un “principe de connexion et d’hétérogénéité²”. Le rhizome n’est autre qu’une multiplicité ouverte, comme tous les êtres finalement, et comme toutes les œuvres de Boris Labbé.
¹Gilles Deleuze et Felix Guattari, Mille Plateaux, Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 74.
²Ibid., p.13..