La manifestation des phénomènes scientifiques dans les œuvres, nous amène-t-elle vers une vision plus poétique du réel ? Est-il possible de rendre manifeste un phénomène invisible ?
La lévitation est en premier lieu « l’état d’un corps qui reste en équilibre à une certaine distance au-dessus d’une surface grâce à une force sustentatrice compensant la pesanteur». Elle a un caractère quasi magique qui confère à l’artiste le pouvoir de soulever les objets du sol sans les toucher. Cependant, si l’objet vole, souvent, la supercherie ne tarde pas à nous être révélée…
Avec Airborne, Zilvinas Kempinas ne cherche pas à nous mentir, l’envers du décor est au centre du dispositif. Une bande magnétique flotte dans l’espace d’exposition grâce à des ventilateurs ! Elle tournoie et semble danser formant une sorte de vortex, un trou noir en lévitation. La bande magnétique est identique à celles des cassettes audio qui ont aujourd’hui disparues. Manifestation visuelle d’un phénomène invisible : le son, l’oeuvre nous donne l’impression que celui-ci s’échappe et vole tout en étant complètement silencieux. Seuls les ventilateurs résonnent dans cet espace matérialisé par ce ruban qui nous évoque celui de Möbius. Ici le regard est concentré à l’intérieur de ce cercle en perpétuelle construction, à la fois galaxie qui tourne sur elle-même, anneau de Saturne ou encore trou noir, ce dispositif très terre à terre nous amène ailleurs.
La concentration du regard crée une sensation d’intensité qui nous laisse au dehors et à la fois nous aspire. Vision de David Spriggs, en est le parfait exemple. Cette œuvre en trompe-l’oeil nous donne l’impression que l’image d’un corps astral en implosion ou explosion est projetée sur une surface transparente. L’image est en fait construite par strates, elle est imprimée sur des plaques de plexiglass qui se superposent et recréent une forme pleine par transparence. Une tension se crée alors entre le vide et le plein et joue avec nos sens qui reconstituent virtuellement l’image. La lumière semble venir du cœur de l’œuvre et donne une sensation quasi mystique à cet événement. Tel le Big Bang, on se demande si cette forme reflète l’effondrement d’une masse ou une forme en devenir. L’oeuvre succession d’impression d’images en 2D, nous appelle à tourner autour et à changer de point de vue pour l’entendre dans son ensemble. Malgré un passage effectif à la 3D de par le mouvement du spectateur, la sphère est pourtant impossible à reconstituer, l’image restant plane. Le temps semble comme suspendu, sans début ni fin, l’image irradie sans choisir entre composition ou décomposition.
Le temps et l’espace semblent se rejoindre pour ne former qu’une seule entité. Il est en de même dans Continuum de Félicie d’Estienne d’Orves.
Cette œuvre multimédia mêle image et son. Dans un mouvement lent et progressif, des champs de couleurs évoluent dans un dégradé pour figurer la reconstitution d’un coucher de soleil sur Mars. La vidéo de 52 minutes est accompagnée de Koumé, musique composée par Éliane Radigue, formée de sons continus que l’on appelle du drone. La vidéo comme la composition sonore ont été pensées comme un éternel recommencement. Le soleil se couche et réapparaît invariablement pour faire renaître le jour, métaphore de la vie. Le titre de l’œuvre est également emprunté à la physique relativiste, le « continuum espace-temps », désigne un espace dont la 4e dimension serait le temps. Plus encore, l’Espace, c’est le Temps ! L’« Espace » dans toutes ses acceptions est au cœur de ces expositions; l’espace intersidéral, l’espace de l’oeuvre, l’espace réel du lieu d’exposition, l’espace du spectateur se superposent pour n’en former plus qu’un et nous remettre au centre de l’Univers.
Voilà le nœud du problème, comment englober tout l’Univers dans l’espace restreint de l’exposition ? C’est ce que réussit à faire Cinzia C. (avec HMPITSS (How Many Planets in the Solar System).
Huit écrans nous font face et représentent les planètes à différentes distances. Les écrans alignés les uns à côté des autres rappellent la forme d’une pellicule cinématographique créant ainsi une sensation de mouvement renforcée par les changements d’échelle des images. Le regard est tout d’abord très lointain (la galaxie) et se rapproche jusqu’à toucher la surface d’une planète. Les huit écrans scindent l’image et la multiplient dans le même temps. La juxtaposition des écrans crée une sensation de classification, une sorte de topographie spatiale et rend vivant notre désir de connaître et d’englober tout l’Univers.
Les dispositifs qui recréent la lévitation montrent le contrôle qu’acquiert l’artiste et/ou le scientifique sur les forces de la Nature. Delusion d’Hugo Deverchère est un dispositif capable de recréer une tornade à échelle réduite contenue dans une vitrine. L’œuvre se présente comme une colonne en deux parties. Sur la partie basse, on voit une machinerie complexe qui reconstitue les phénomènes atmosphériques responsables des cyclones. Sur la partie haute, une tornade, sous verre, se fait et se défait devant nous. Le Typhon normalement dévastateur est ici rendu inoffensif, montré dans des conditions de laboratoire. Tel un dieu, l’artiste rend possible le rêve prométhéen de s’approprier les éléments.
Normalement, le phénomène climatique quel qu’il soit n’a pas de maître, il dépasse les frontières tracées par les hommes. Ici, il est dompté et mis sous cloche pour notre propre plaisir de spectateur. Il est offert à la simple contemplation et nous appartient dès lors, comme un objet. Les recherches de géo-ingénierie qui ont rendu possible une telle expérience, ont été mises au point pendant la guerre froide par les américains et les soviétiques afin de provoquer des cataclysmes dans un but stratégique. Aujourd’hui, elle sont perpétuées pour lutter contre le réchauffement climatique. Si cela peut être perçu comme une note d’espoir, on peut y voir également la figure du savant fou. L’homme, plutôt que de tuer les racines du mal, cherche à influer sur ses conséquences.
En Temps!Réel, Maxime Damecour donne vie à des matériaux élastiques et les met en lévitation, une lévitation scientifique. Enfermé dans une vitrine, un ruban en plastique se meut, se contorsionne, s’enroule et se déroule de manière autonome. Cette œuvre ludique, à l’esthétique mécanique, présente la matière en mouvement malgré elle. Donner à voir les phénomènes scientifiques pour ce qu’ils sont, sans fioritures, c’est donner à voir ce qui est toujours là mais que nous ne voyons pas.
Les événements ont lieu sans que nous y prêtions attention. Nous sommes attirés par l’extra-ordinaire et perdons le quotidien, la marche du monde qui se fait sans nous. « Ce qui se passe vraiment, » ce qui n’est pas le spectaculaire, « où est-il ? (…) nous le vivons sans y penser, comme s’il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s’il n’était porteur d’aucune information. Ce n’est plus du conditionnement, c’est de l’anesthésie. Nous dormons notre vie d’un sommeil sans rêve. Mais où est-elle notre vie ? Où est notre corps ? Où est notre espace ?* ». L’oeuvre met en lumière ce que nous ne savons pas voir et provoque un réveil de la conscience.
Control No Control de Daniel Iregui est un écran lumineux qui interagit avec le spectateur et lui donne la sensation de maîtriser la lumière et le son qui l’accompagne. Dans cette expérience collective, nous reprenons le contrôle dans la domination de choses abstraites en agissant sur le son et son graphisme. Alors que les gens explorent tactilement la manière dont la sculpture réagit à eux, on peut se demander, qui contrôle qui ? Comment donner forme au son ? Comment le représenter ? Le rendre visible effectivement ? Dans sa Symphonie des Vagabonds, Yoann Ximenes fait chanter les astres. Les vagabonds étaient le nom donné aux planètes dans l’Antiquité Grecque. En utilisant la théorie de la cymatique, l’artiste crée une musique cosmique dans laquelle nous voyons le « son » que produisent les planètes. Il utilise des sons recueillis dans l’espace par la NASA et les transforme en couleurs. Les ondes sonores sont mises en évidences grâce à l’eau où elles se propagent. Le fluide se colore selon des valeurs colorimétriques définies. grande poésie, nous immerge par une chorégraphie lumineuse dans une monde à mi chemin entre onirique et scientifique.
L’image des planètes est alors créée à partir du son et projetée au plafond pour nous amener à lever les yeux comme nous le ferions pour voir le ciel. Nous entrons ainsi dans le système solaire grâce à la manifestation de phénomènes normalement invisibles à l’oeil nu, transposition plastique d’éléments sonores. Cette œuvre d’une grande poésie, nous immerge par une chorégraphie lumineuse dans une monde à mi chemin entre onirique et scientifique.
Enfin, nous entrons dans un monde ésotérique dans lequel nous ne sommes pas capables de tout comprendre. Le spectateur n’est pas toujours en mesure d’entendre le « comment c’est fait ? » Ainsi, même si le dispositif mécanique nous est montré dans certaines œuvres, les connaissances scientifiques mises en jeu ne sont pas toujours accessibles. À l’inverse parfois, la simplicité du dispositif nous amène à réfléchir sur des concepts qui nous dépassent totalement telle l’installation de Guillaume Cousin. Comme dans une fumerie d’opium, le spectateur voit jaillir un rond de fumée géant propulsé par une machine. Cette forme totalement immatérielle remplit l’espace et évoque l’état de lévitation de l’esprit, hypnotique et onirique, produit par les substances psychotropes. Dans un jeu d’apparition et de disparition, le vide remplit l’espace et s’estompe dans un silence assourdissant, Le Silence des Particules.